Si Claudel présente l’amour théorique pour le fleuve, Victor Segalen offre le côté pratique. Il peut « goûter la saveur sans cesse renouvelée de l’eau ». Celle-ci est glorifiée par le poète qui la voit comme un « admirable organe étendu, mince et subtil ». La peau a plusieurs fonctions : c’est un moyen d’échange avec les autres, elle peut toucher les choses que l’œil a du mal à saisir, elle défend tout danger extérieur, elle contribue à la connaissance tactile et sensuelle du réel. Bref comme l’indique Christian Doumet, la peau est «le lieu d’un transfert. Elle offre sa surface à ces déplacements, à ces communications entre le visible et l’invisible qui constituent l’imaginaire». Croyant que le réel est permis à tous et que la vie est une aventure qu’on devra exploiter, Segalen est parti pour chercher le Divers et l’exotisme. Pour cela, le lecteur d’Equipée ressent qu’il « chemine aux côtés d’un poète explorateur ». Ce dernier paraît actif et contribue à l’action. Comme batelier, il conduit la jonque pour résister au danger du torrent et échapper à l’épreuve de la mort. Il dit : « Je dois faire le pilote [...] D’un seul coup de sao dont le bois vibre, j’ai donc mis le woupan en plein courant ». Le fleuve occupe une place remarquable dans Equipée. Il révèle d’abord une conciliation entre le réel et l’imaginaire. Il s’avère ensuite un lieu de conflit entre ces deux puissances opposées. C’est pourquoi, Segalen le personnifie et lui attribue une force infinie, méprisant tout ce qui est étranger. «Le fleuve possède aussi cette qualité lyrique par excellence, qui est l’expression volubile de soi, et la superbe ignorance de tout ce qui n’est pas soi». L’auteur suit le cours du fleuve et en présente les détails précis pour qu’il fasse participer le lecteur à l’action. Il compare le fleuve à la mer. Cette comparaison est en faveur du fleuve qui est plus moral que la mer. Le fleuve est cher à tous les amants de la vie parce qu’il est à la fois poétique, symbolique, fluidique et désirable. Il a inspiré tant de poètes. De plus Segalen nous cite des outils maritimes chinois tout en indiçant le synonyme. «Les sampans, faits, comme l’indique leur nom, des trois planches [...] Le sao, son nom l’indique, balaie le fleuve». Il réussit ainsi à donner à ses mots une valeur physique et réelle.